samedi 3 mars 2012

Le marin

La chaloupe dormait sur le sable fin où aucun homme n’avait marché depuis des mois.  Il n’y avait qu’une vieille rame, rongée par le sel de la mer, qui longeait l’embarcation vide.  Il se tenait debout, tout près de celle qui lui avait permis de se retrouver ici, seul et vivant.  Il était si fatigué.  La mer ne lui avait laissé aucun répit.  Il avait mené un dur combat avec elle pendant des heures, des jours interminables, sans relâche.  Il est si fatigué.  Il regarde autour de lui.  Il aperçoit quelques maisonnettes très, très loin là-bas.  Près de lui, des arbres qui semblent l’attendre pour lui apporter repos et réconfort.  Il doit marcher un peu vers eux.  Ses jambes semblent ne plus vouloir le porter.  Il marche pieds nus.  Et s'il s'allongeait un peu dans ce sable fin et chaud.  Et s'il fermait les yeux.  Et s'il se donnait le droit de s’assoupir un court moment...  Juste le temps de permettre à son corps de se calmer en pansant ses blessures.  Il a été malmené si durement.   Il lui a permis de survivre.  Il lui doit bien de se reposer.  


Il ignore comment cette mystérieuse aventure a débuté.  Il ne se souvient que d'une profonde obscurité et de ce phare qui balayait incessament le ciel.  L’eau qui tourbillonne.  L’encre de cet immense bateau sombre, noir qui lui fait face et semble se balancer dans un vide incommensurable.  Il a sûrement perdu conscience.  Il n'a aucun souvenir de ce qui a suivi.  Il veut dormir un peu.  Le temps peut bien s’arrêter ici.  Il ferme les yeux. Il respire lentement.  Les arbres l'attendront.  Il a besoin de repos.   Mais cette soif, cette envie de boire qui le tenaille.  Et s'il faisait l’ultime effort de marcher vers cette île de verdure?  Il marche.  Il plie l’échine, il va pieds nus vers cet espoir de trouver de quoi se rafraîchir et se revigorer.  La route lui semble si longue.  Et si elle lui permettait de trouver enfin la paix?  Il marche encore un peu.  Ses genoux semblent vouloir flancher.  Il avance quand même malgré la brûlure et la sécheresse de sa bouche.  Il fait si chaud ici.  Pourquoi continuer?  Il le faut.  Il sait qu'il marche pour apaiser sa souffrance.  Il marche donc sans s'arrêter...


Huile sur toile peinte par Yves Des Lauriers,
un homme de grand talent disparu trop tôt (1956-2006)


1 commentaire:

  1. Tu as su donner des mots à la fin d'une vie, celle de celui qui l'a peinte.
    Du passé ressurgit un oubli façonné par la vie, celle de deux êtres qui se sont aimés et modelés, malgré eux, l'un à l'autre et dont les meilleurs souvenirs peuvent ressurgir.

    RépondreSupprimer